Pour faire écho au récent billet d’Alexis relatif à l’email et le prolonger, je ne peux que confirmer, moi qui suis sensée être proche de cette génération Y dont on parle ici et là, que l’usage de l’email est le plus souvent réservé à des relations formelles et que mes boîtes sont effectivement souvent garnies au delà de ce que nécessiterait une info réellement utilisable. Mais il faut bien dire que l’usage informatif dans lequel se réfugie l’email est inscrit dans ses gènes.
En effet l’email est une forme écrite qui se transmet, plus ou moins bien rédigée, si possible sans fautes d’orthographe, mais déjà éloignée de l’écriture de par ses règles et sa structure, et aussi de par le fait que le support est dépersonnalisé : Disjonction du support d’écriture et du support de lecture, pas de toucher, pas de rature (hormis la biffure html volontaire qui prend un autre sens), pas de surcharge, bref pas d’autre trace du sujet que celle de son esprit. Par ailleurs, l’email ne se construit pas dans l’échange en temps réel et n’exploite donc pas les possibilités de commutation offertes par le réseau. Il ne s’adresse pas à une personne qui est devant son écran. De par cette interaction différée, il échappe à la temporalité du présent, à l’immédiateté et donc à la spontanéité de l’oralité.
De tout cela, résulte un affaiblissement de la présence du sujet qui affaiblit les capacités de l’email à créer de l’émotion. Une étude d’Epley et Kruger (Journal of personnality and social psychology/2005) est à cet égard révélatrice du handicap que fait peser sur l’email la disparition de la communication non verbale qu’il impose. Si 90% des sujets de l’échantillon étudié pensent avoir perçu correctement le ton d’un message donné, la vérification montre que seuls 75% l’ont réellement perçu s’il est sous forme vocale, et pire encore, seulement 56% s’il prend la forme d’un email.
Communiquer seulement par email serait évidemment prendre le risque de se priver d’une partie fondamentale de l’information qu’il ne peut transmettre, la partie non verbale, corporelle et sociale, qui sollicite la sensation et l’émotion, lesquelles jouent un rôle essentiel dans la relation et la socialisation bien sûr, mais aussi dans les processus cognitifs. Ce sont les échanges interactifs en temps réel qui permettent le mieux les ajustements dans ces deux domaines.
Si l’on prend en compte la place (souvent jugée excessive) que tient aujourd’hui l’émotion dans l’actualité (qui n’est pas avare de cas) et dans les modes de vie, des jeunes particulièrement mais aussi de moins jeunes, il n’y a pas de surprise à constater que comparativement à d’autres outils, l’email puisse apparaître comme un outil de communication en quelque sorte refroidie, « outil de vieux » destiné à rejoindre dans l’esprit des nouvelles générations un autre outil de vieux (ou de très vieux) qu’est la lettre. Sans en dire plus, on voit bien comment les messageries instantanées qui se rapprochent davantage de l’oralité et réintroduisent de l’émotivité sont bien mieux adaptées aux processus de socialisation, sans parler du blogging et des réseaux sociaux qui se placent sur un autre plan, celui de la trace et de la valorisation de soi. A moins de le considérer l’email comme matériau de création, il ne faut pas lui demander l’impossible, à savoir être autre chose qu’un instrument d’échanges à vocation informative…qui est peut être dans la ligne de mire du changement en effet.