Il y a quelques jours était diffusé Home. Le buzz retombé, il n’est peut-être pas inutile de se pencher, même brièvement, sur quelques unes des conditions de la communication qui ont accompagné la réalisation de ce film et sa diffusion à la fois en public, à la télévision , sur le net et dans le réseau commercial.
Ceux qui l’ont vu ont certainement été sensibles à la beauté désormais bien connue des images de la planète d’Arthus Bertrand.
Mais quel rapport ces images entretiennent-elles avec la réalité ? Sont-elles moyen d’accès au réel ou meurtrières du réel comme le pensait Baudrillard ?
Forêts, réserves naturelles, nœuds autoroutiers, alignements de containers, décharges d’ordures, tout est « beau » et magnifié par le cadrage et le traitement des couleurs. Il y a équivalence dans le traitement esthétique de ce qu’il s’agit de protéger et de ce qui le menace. Les images ne sont pas toujours montrées et regardées pour ce qu’elles disent réellement mais parce qu’elles sont à même de susciter l’émotion. Ainsi ces images de la planète, qui prennent parfois une valeur archéologique, nous placent-elles en apesanteur de l’espace et du temps, en apesanteur du réel. D’images du monde à un monde d’images, Home nourrit voire construit un imaginaire et a pour fonction de susciter l’émotion, une émotion esthétique devant une représentation du monde qui consacre la puissance de l’écran.
Quant aux conditions de la diffusion, il y a lieu là aussi de se questionner sur leurs effets. On y applique les recettes d’une bonne campagne de pub. Le net joue le rôle que l’on connaît bien. Le film diffusé sur youtube est instantanément accessible depuis quasiment n’importe quel endroit équipé et non censuré du globe et offre un temps personnel d’accès. Pour que les conditions de déclenchement d’une émotion universelle soient réunies, il s’agit ensuite de la synchroniser afin de maximiser ses effets. Et c’est là que le vieux mais efficace outil qu’est la télévision intervient. Diffuser Home quasi-simultanément dans plus de quarante pays sollicite le grand œil collectif. A ceux qui le pourraient, on propose de ressentir cette émotion au même moment dans la proximité des corps devant une projection publique sur le Champ de Mars. A ceux qui souhaiteraient partager et prolonger l’émotion, on propose au même moment encore d’acquérir à bas prix le DVD chez un leader du commerce de produits culturels. Il y a là une véritable tentative de constituer un grand cerveau collectif à même de recevoir le même message et de ressentir la même émotion simultanément.
Cette synchronisation des émotions s’inscrit dans les progrès des moyens de communication sous tous leurs aspects, les TIC en particulier. A ce sujet, paul Virilio rappelait récemment ses thèses sur la vitesse et l’image (ici sur FR3 ou là sur Arte) : Concernant la synchronisation des émotions, Paul Virilio parle de communisme des affects. On pourrait plutôt sans doute parler de communion des affects, et on voit là des connotations qui ne sont pas sans références historiques avec toutes les dérives que l’on pourrait imaginer. Concernant la vitesse, celle des déplacements, mais plus encore celle des ondes électromagnétiques, celles des flux d’information, ce qu’il est convenu de nommer le temps réel transfère la réalité de l’espace et du temps vers l’instant. Or, si l’émotion est liée à l’instant, la réflexion a besoin de temps. Se plonger dans l’instant n’est pas se plonger dans le présent qui, lui, nécessite un temps et un espace. Il ne s’agit pas ici de contester le bien fondé des thèses défendues par le film d’Arthus Bertrand, mais de se demander si l’émotion de l’instant peut élever à la conscience puis à la réflexion ou si la vitesse ne nous conduit que vers l’émotion suivante.
Et Virilio de rappeler la phrase d’Octavio Paz : « L’instant, comme le futur, est inhabitable ».